Viol : l'invisible effet d'Ebola en Sierra Leone
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En Sierra Leone, la propagation du virus Ebola s’est accompagnée d’une autre épidémie dévastatrice : une explosion des violences faites aux femmes et aux adolescentes, qui a replongé le pays dans ses années les plus sombres.

Le virus Ebola a fait des ravages en Sierra Leone. Plus de 14 000 personnes ont été infectées, et près de 4 000 en sont mortes depuis la déclaration de l’épidémie, en mai 2014, selon les derniers chiffres l’OMS. Si la fin de l'épidémie a été déclarée le 7 novembre 2015, le petit pays d’Afrique de l’Ouest n’a pas fini d’en subir les conséquences. Les femmes tout particulièrement. La propagation du virus s’est accompagnée d’une autre épidémie tout aussi dévastatrice : une vague de violences sexuelles envers les femmes et surtout les jeunes filles.

Jusque-là mal renseigné, le phénomène fait l’objet de deux récents rapports, l’un publié par le Pnud (le Programme de développement des Nations unies) et l’autre par trois organisations internationales de protection de l’enfance, l’Unicef, Save the Children et Plan, qui tirent la sonnette d'alarme, même si les chiffres commencent à peine à voir le jour. Le Pnud insiste d’ailleurs sur la difficulté à récolter des données et explique d'entrée de jeu que "les chiffres ne reflètent en aucun cas la réalité de terrain".

D’après les sources policières et médicales, le nombre de plaintes pour violences sexuelles aurait baissé entre juin et décembre 2014, au plus fort de l’épidémie d’Ebola, par rapport à la première moitié de l’année. Mais selon le Pnud, cela s’explique par l’absence de services spécialisés pendant la crise : les victimes de violences sexuelles ont eu un accès limité à l’assistance juridique ainsi qu’aux services médicaux qui avaient concentré tous leurs efforts sur Ebola. Les couvre-feux et l’état d’urgence ont par ailleurs limité les déplacements des victimes, et de fait, limité les plaintes. Pourtant, tous les témoignages récoltés concordent à dire que les viols sur mineurs, le harcèlement sexuel et les violences domestiques ont augmenté pendant cette période. 

Confinement et oisiveté forcées

Comment expliquer un tel phénomène ? La restriction des déplacements est le premier facteur invoqué par les victimes. Pour éviter la propagation d'Ebola, les autorités ont en effet mis en œuvre un plan d'urgence sanitaire et un confinement (couvre-feu, fermeture des écoles, mise en quarantaine) qui a pu favoriser les agressions dans le cadre domestique. 

"Les hommes qui avaient l’habitude d’aller au bar, au cinéma, ou voir des matches de football passent plus de temps chez eux. Les femmes qui, avant l’épidémie, avaient l’habitude d’aller au marché, de rendre visites aux amies et d’aller aux champs, restaient enfermées chez elles à cuisiner et s’occuper des enfants qui eux n’allaient pas à l’école", écrit le Pnud. Les abus à domicile ont alors augmenté alors que les risques de viol étaient jusque-là plus importants à l'extérieur, lorsque les jeunes filles allaient chercher de l’eau au puits, commercer dans d’autres villages ou se cacher dans les buissons pour se soulager.

Dans le rapport de l’Unicef, la plupart des jeunes filles interrogées ont confié s’être fait violer pendant cette période de quarantaine. "Avant Ebola, je me concentrais sur mes devoirs mais maintenant les hommes me harcèlent sexuellement parce que je suis tout le temps à la maison", confie une adolescente originaire de Bo, le chef-lieu de la province du Sud en Sierra Leone. 

Explosion de la prostitution adolescente

Nombre d'adolescentes démunies ont également été forcées à la prostitution pendant cette période, l’épidémie ayant augmenté la pression économique sur les foyers : la maladie ou l’état d’urgence ont empêché un grand nombre de travailler ; en parallèle, le prix des denrées alimentaires a flambé. Si cette insécurité financière a notamment favorisé la violence domestique, souligne le Pnud, elle a aussi poussé de nombreuses jeunes filles à faire commerce de leur corps pour subvenir à leurs besoins ou à celui de leur famille.

"À Kono, en raison de la misère, les jeunes filles des familles les plus pauvres n’avaient pas d’autre choix que d’aller vendre leur corps pour assurer la survie de la famille. Et certains hommes y ont vu une opportunité, prenant l’habitude d’abuser des jeunes filles de 13, 14, 15 ou 16 ans", explique un témoin, cité anonymement par le Pnud.

Entre les viols et la prostitution, les grossesses non désirées chez les adolescentes ont explosé, avec une augmentation de 65 % dans certaines régions durant l’épidémie, selon le Pnud. Mais là encore, les données sont imprécises et les plaintes loin de refléter la réalité, les parents des victimes ayant plus souvent préféré s’assurer que leur fille recevrait une aide financière de la part leur agresseur plutôt de s’embarquer dans un processus judicaire coûteux et stigmatisant.

Des séquelles de la guerre

En Sierra Leone, les grossesses adolescentes étaient déjà un enjeu majeur avant la propagation d’Ebola. L'Unicef a relevé que 38,1 % des filles sont devenues mères avant 18 ans entre 2008 et 2012, tandis que 17 % étaient mariées avant 15 ans, souvent faute d’information. L'éducation sexuelle dans les écoles a été retirée du programme après la guerre, en 2002. Étrange décision quand l’on sait que la Sierra Leone était un pays particulièrement concerné par les violences sexuelles, déjà bien avant l’explosion de l’épidémie.

Les Nations Unies évaluent à plus de 60 000 le nombre de femmes qui ont été violées durant la guerre civile en Sierra Leone (1991-2002). Amnesty International estime qu’elles ont été plutôt 250 000, soit près d’un tiers des femmes du pays, à avoir été instrumentalisées à des fins militaires et politiques. Et  l'impunité ne s'est pas évanouie après la guerre. 

Dans un rapport de 2007, Amnesty International signalait que "presque rien n’a été fait pour  permettre [aux femmes] d’obtenir justice et réparation et pour que leur souffrance soit reconnue". Si une série de lois a ensuite tenté de garantir leurs droits, l’explosion d’Ebola a freiné tous les efforts mis en place par l’État pour lutter contre les violences sexuelles, replongeant le pays dans ses années les plus sombres. 

AFP