Guinée paralysée : trois jours de blackout routier pour glorifier le pouvoir
Imprimer
Affichages : 389

Note utilisateur: 0 / 5

Etoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactivesEtoiles inactives
 

Mamou, avril 2025 — Ce vendredi matin, les routes qui traversent le centre de la Guinée sont étrangement silencieuses. Là où d’habitude les camions débordant de sacs de riz, les minibus de passagers et les taxis-brousse klaxonnent dans un vacarme chaotique, ne subsistent que quelques motos errantes et des gendarmes plantés comme des bornes. C’est officiel : du 25 au 27 avril, le pays se met en pause. Pas pour cause de pandémie, ni de crise sécuritaire. Mais pour manifester son « soutien » aux idéaux du président de la transition, le général Mamadi Doumbouya.

À l’origine de cette immobilisation nationale : un communiqué de l’Agence Guinéenne de la Sécurité Routière (AGUISER), relayé par le ministère des Transports. Il « déconseille fortement » — comprendre interdit de fait — la circulation sur plusieurs axes vitaux : Coyah-Mamou, Mamou-Faranah, Mamou-Dabola, Mamou-Labé. Soit le cœur logistique de la Guinée, littéralement mis sur pause.

Mamou, ville carrefour sous cloche

Dans ce pays au relief escarpé, la ville de Mamou n’est pas un simple point sur la carte : c’est le point de jonction entre Conakry, la capitale côtière, et les régions de l’intérieur — la Moyenne, la Haute et la Guinée forestière. « Couper Mamou, c’est comme si on coupait le cœur d’un corps humain. Plus rien ne passe, ni nourriture, ni médicaments, ni voyageurs », soupire un chauffeur de taxi rencontré à la sortie de la ville.

Derrière le langage feutré du communiqué évoquant la « fluidité du trafic » et la « sécurité des usagers » se cache une manœuvre politique : empêcher tout mouvement qui viendrait gêner la grande parade de soutien prévue dans la région. Une sorte de démonstration de loyauté, imposée par le haut, au détriment du quotidien des Guinéens.

Le coût économique d’un culte de la personnalité

La décision n’est pas sans conséquences. Les camions frigorifiques remplis de poissons en provenance de Conakry sont à l’arrêt. Les cargaisons de manioc, de tomates ou de pommes de terre destinées aux marchés urbains attendent dans les villages de Kindia ou Pita. Les commerçants de Madina fulminent, les transporteurs dénoncent une perte sèche. « Trois jours sans rouler, c’est presque une semaine sans recettes pour nous. Et qui va payer les charges ? » interroge un syndicaliste du secteur.

Au-delà du chaos logistique, c’est toute une économie informelle déjà fragilisée par l’inflation qui est mise à genoux. Des produits vivriers vont pourrir sur place. Des commandes ne seront jamais livrées. Des familles ne pourront pas rejoindre Conakry pour des soins médicaux. L’État, lui, reste muet sur les conséquences de sa propre décision.

Une dérive autoritaire sous couvert de patriotisme

« On ne bloque pas un pays pour faire plaisir à un homme, aussi fort soit-il », gronde un universitaire de Labé, sous couvert d’anonymat. Ce type d’initiative, selon lui, illustre une dérive de plus en plus inquiétante : l’instrumentalisation des institutions de l’État au service d’un pouvoir personnel.

L’AGUISER, en principe chargée de garantir la sécurité routière, se retrouve embarquée dans une mission de verrouillage politique. « Elle devient un bras armé du régime, alors qu’elle devrait être une autorité technique, neutre », déplore un ancien fonctionnaire du ministère des Transports.

Le prix du silence

Personne ne semble s’émouvoir publiquement du préjudice causé aux populations. Dans un pays où les libertés publiques se réduisent comme peau de chagrin, où les manifestations sont systématiquement réprimées, et où les critiques du pouvoir sont perçues comme des ennemis de l’État, la résignation gagne du terrain. Mais à bas bruit, la colère monte.

« Ce n’est pas pour la sécurité, c’est pour le spectacle », glisse un habitant de Dalaba. « Pendant qu’on bloque le pays, des officiels viennent danser, applaudir et clamer leur amour du président. Mais nous, on crève en silence. »

Trois jours de blocage. Trois jours d’absurde. Trois jours qui révèlent, bien au-delà de la logistique, une vérité plus profonde : la Guinée s’enlise dans une gouvernance à sens unique, où la loyauté au sommet compte plus que la survie des citoyens.

Par notre envoyé spécial:  Abdoul Chaolis Diallo