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La Guinéenne Natu Camara n’a pas froid aux yeux, et déborde d’ambition et de talent pour se faire sa place sur le féroce marché américain. Surnommée la "Tina Turner" de Guinée, l’ancienne rappeuse et activiste féministe vit son rêve à fond, sans oublier d’où elle vient, ni de rendre hommage à ceux qui l’inspirent dans son parcours. Toujours avec le sourire, Camara est une battante, malgré les épreuves de la vie. Portrait.

Lycée français de New York, lundi 20 mars. Dans un Auditorium plein à craquer, Natu Camara fait bouger, par sa musique et son énergie, toutes les générations de fans présents pour célébrer la Francophonie avec l’une des artistes montantes de la scène africaine.

Français, Guinéens, Sénégalais, Afro-Américains, Camerounais, tout le monde a le sourire aux lèvres, et une bonne dizaine rejoignent la scène à l’appel de l’artiste et s’enjaillent comme jamais. "Je vis la musique pour échanger avec les autres, pour que les gens se mélangent, sourient, passent un moment où ils s’amusent en étant eux-mêmes, sans se préoccuper du regard des autres", sourit Camara, toujours pleine d’enthousiasme.

Mais l’artiste née à Conakry n’a pas toujours eu une vie facile, semée d’embûches et d’épreuves, qui l’ont amenée de l’Afrique au pays de l’Oncle Sam, où sa popularité ne cesse de croître.

Premier groupe

Née dans un quartier populaire de la capitale, Natu Camara tombe amoureuse de la musique lors des cours de chant à école, mais son envie de créer n’est arrivée qu’au lycée, avec l’influence du hip hop. "Avec quatre amies, en seconde, on a décidé de créer un groupe, les Ideal Black Girls qui était le premier collectif féminin de ce genre musical en Afrique de l’Ouest, précise-t-elle. Tout s’est passé

très vite, et on a sorti un premier album en 2002, puis un second en 2007. On ne s’attendait pas à cela, mais ça a été une déferlante : on remplissait des stades, on voyageait partout en Afrique de l’Ouest !". La jeune femme se voit offrir des opportunités au cinéma, et poursuit également ses études en économie.

Mais la musique ne la quitte jamais. Camara ne veut pas en rester là, et veut explorer son univers artistique. À la fin de ses études, elle travaille pour la Banque mondiale puis dans la vente pour une grosse entreprise d’imprimerie, "ce qui me permettait aussi d’imprimer gratuitement mes flyers pour les concerts !" rigole encore aujourd’hui cette touche-à-tout, qui veut aussi aider à l’amélioration de la condition des femmes dans cette région du monde, par la création musicale.

"On a ainsi décidé, en voyant l’influence croissante que l’on prenait dans la société, de créer le premier festival organisé pour et par des femmes, le festival Rhapsodie, qui regroupait des artistes venus de France, mais aussi du Sénégal, du Mali, et des pays voisins afin de faire parler de la cause féminine. On a fait deux éditions et ça reste encore aujourd’hui l’une de mes plus grandes fiertés, car je ne vois pas mon métier sans être quelqu’un d’engagé", affirme-t-elle.

Elle ne s’arrête jamais, et voit toujours plus haut, plus loin. Elle poursuit son aventure musicale et son parcours l’amène de l’autre côté de l’Atlantique, à New York dans le quartier de Harlem plus précisément, où elle rejoint son mari, malade, dont elle s’occupe lorsqu’elle n’est pas en tournée. "Je n’avais pas vraiment planifié de venir aux États-Unis en 2010, mais ce cas de force majeure m’a fait venir ici. Cela a été très difficile au début. L’adaptation, mais aussi la situation de mon mari, a été compliquée à gérer, mais j’ai suivi ce que me disait mon cœur", se souvient-elle.

Après quelques mois, son mari succombe et Natu se retrouve seule, à faire le deuil, dans un pays, une ville qu’elle ne connait pas. "J’ai touché le fond, mais j’ai trouvé mon salut par la musique, en m’imprégnant des cultures musicales de cette ville unique", explique-t-elle. Une nouvelle vision de sa vie d’artiste, un nouvel élan démarre pour la chanteuse africaine. 

La (re) découverte de son identité musicale outre-Atlantique  

Dans la Grosse Pomme, Natu Camara découvre la soul, les clubs de jazz, mais aussi la place laissée à la créativité artistique à tous. Une révolution pour elle, qui vient d’un pays où les limitations sont nombreuses pour les artistes. "J’ai commencé à aller à la découverte de la ville, de son énergie et de ses mouvements musicaux. J’ai pris une énorme claque ! J’ai commencé à faire des petits boulots, car la vie est chère ici, puis à démarcher des bars et des petites salles pour continuer de joueur. La musique m’a sauvé la vie", se rappelle-t-elle.

Si loin de sa terre natale, Camara continue d’apprendre sur ses nouvelles sonorités et la distance avec la Guinée lui fait également ouvrir les yeux sur ce qu’elle veut devenir en tant qu’artiste. En 2012, elle décide de changer son nom de scène de Nat’ pour Natu, plus proche de ses origines, et d’arrêter de chanter en anglais et en français pour écrire en dialecte soussou, en peul et en malinké.

"Si loin de chez moi, mais si près spirituellement et artistiquement de mes origines, c’est ce que mes années aux États-Unis m’ont fait réaliser", précise Camara, convaincue que "prendre de la distance géographique avec ma Guinée m’a fait me rapprocher d’elle encore plus. Ça a été une sorte de révélation, de retour aux sources".

Elle fait connaissance de plusieurs artistes locaux, mais se lie aussi d’amitié avec plusieurs artistes africains de passage à New York, dont un certain…Salif Keita. Présente de temps en temps pour des concerts ou des enregistrements, la légende malienne se lie d’amitié avec Natu, et devient un mentor pour elle, qui cherche à sortir son premier album. "J’ai grandi en écoutant sa musique, et Salif est une personne très importante de ma vie. Un jour, alors que je lui avais dit que je voulais sortir un album, il me dit : 'c’est trop cher ici, louer un studio et produire ton album va te coûter les yeux de la tête ! Viens au Mali enregistrer chez moi !', j’étais tellement enthousiaste !", sourit-elle au souvenir de ce moment.

Premier album, Dimedi

En 2017, durant un mois, Natu et les musiciens de Keita travaillent sur un album de 8 titres, qui finalement devient un opus de… 16 titres ! Dimedi sort en 2018, et Camara sait qu’elle est enfin passée à la vitesse supérieure dans sa carrière. "Mon 1er album solo a été ma nouvelle carte d’identité musicale. J’ai tout fait : écrit, produit, fait des recherches sur les sonorités qui me correspondaient le mieux et les musiciens de Salif m’ont aidé à tout mettre ensemble. Il m'a toujours soutenu, et m’a toujours dit : 'affirme-toi comme femme et artiste. Tu as tout pour réussir", dit-elle.

La Guinéenne fait des tournées en Amérique du Nord, et enchaine les festivals aux quatre coins des États-Unis et du Canada. Sa place dans le féroce marché américain se fait progressivement pour celle qui s’inspire de Miriam Makeba "pour sa créativité", mais aussi de Tina Turner "pour son énergie !" et Nina Simone pour "sa pureté artistique", sans oublier ses compatriotes et idoles Mory Kanté et Manfila Kanté.

"Les USA m’ont ouvert les bras. Les fans me suivent de près. Je ressens beaucoup d’amour ici, beaucoup de soutien. Ce pays a beaucoup de places pour mon style afro-rock et soul et je veux aussi aider la Guinée à avoir enfin une place sur la carte mondiale de la musique. J’ai un rôle d’ambassadrice qui me tient à cœur", annonce celle qui vit désormais entre New York et Conakry. Camara ne chôme pas : elle est en cours de production de son second album, qui devrait sortir prochainement, et son calendrier est rempli de dates de concert. "Je veux m’affirmer ici et continuer mon voyage musical, et ça me rend heureuse" conclut-elle. 

source; rfi