À l’aube, sous les néons pâles de l’aéroport de Conakry, une scène se répète en silence. Des hommes et des femmes, souvent d’un certain âge, s’apprêtent à embarquer pour l’Arabie saoudite. Non pas dans le cadre du Hadj officiel, mais par des voies détournées, des chemins tordus d’illusions et de désinformation. Ils ne sont pas pèlerins au sens strict, mais pèlerins de l’ombre, porteurs de visas touristiques ou de visite, espérant se glisser dans le flot massif des fidèles vers La Mecque.
Ce phénomène n’est pas nouveau. Mais à l’approche du Hadj 2025, il prend de l’ampleur et inquiète au plus haut niveau. Le Secrétariat général des affaires religieuses tire la sonnette d’alarme, rappelant avec insistance que seul le visa Hadj — délivré pour une période précise, du 29 avril au 11 juin — permet un accès légitime aux lieux saints. Tous les autres voyageurs s’exposent à un retour brutal : expulsion immédiate, interdiction de territoire saoudien pour cinq ans, et dans certains cas, poursuites contre les agences impliquées.
À qui la faute ? À l’économie du Hadj, devenue hors de portée pour de nombreux fidèles ? Aux agences peu scrupuleuses qui vendent du rêve religieux en contournant les règles ? Ou à l’ignorance entretenue par des réseaux informels qui prospèrent sur la détresse spirituelle et sociale des plus vulnérables ? Une chose est sûre : derrière chaque visa détourné, il y a une conscience manipulée, une foi exploitée.
Et c’est là le cœur du scandale. Car le pèlerinage, cinquième pilier de l’islam, est un acte sacré qui requiert rigueur, transparence et dignité. En tolérant ces filières parallèles — ou pire, en les banalisant —, c’est toute la symbolique du Hadj qui est détournée, souillée par des intérêts marchands et une logistique souterraine.
La Guinée, pays musulman à plus de 85 %, ne peut se permettre de voir son nom éclaboussé chaque année sur les listes noires des autorités saoudiennes. Les images de ressortissants arrêtés, refoulés ou abandonnés aux marges de La Mecque ternissent non seulement l’organisation nationale du Hadj, mais aussi la crédibilité de nos institutions religieuses.
Il est temps de dire stop. Stop aux agences sans éthique. Stop aux arrangements douteux. Stop aux pèlerinages low-cost maquillés en Oumra prolongée. L’État doit non seulement sanctionner, mais aussi éduquer. Informer clairement, massivement, dès les premières étapes de la saison du Hadj. Faire de la pédagogie religieuse, sociale et logistique un pilier de l’organisation.
Car la foi ne justifie pas tout. Et surtout pas l’illégalité. À vouloir forcer les portes de La Mecque, certains pèlerins risquent de s’en voir fermer d’autres, bien plus importantes : celles de la sécurité, de la dignité et de la paix intérieure.
Amadou Diallo