L’Égypte, qui souffre économiquement de la désaffection du canal de Suez, a abaissé depuis jeudi de 15% ses tarifs pour les gros navires de transport qui l'emprunteraient. Un an et demi après les premières attaques des Houthis en mer Rouge, les grands armateurs évitent toujours largement cette route clé du trafic maritime
Les gros navires vont-ils revenir dans le canal de Suez ? Depuis jeudi et pour 90 jours, l’Autorité égyptienne du canal a décidé de réduire de 15% les tarifs pour les porte-conteneurs d’une jauge nette d’au moins 130 000 tonnes. Le but : inciter les géants mondiaux du transport maritime à emprunter de nouveau cette route qui relie l’Europe, l’Asie et le Moyen-Orient.
Car depuis le début des attaques menées par les rebelles houthis yéménites contre des navires transitant par la mer Rouge, il y a un an et demi, les grandes compagnies maritimes évitent la zone. En avril, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi avait affirmé que le pays avait perdu environ 7 milliards de dollars en recettes du canal de Suez en 2024, soit une chute de 60%.
Les navires quant à eux sont privés de cette route essentielle du commerce mondial et contraints, par mesure de sécurité, de contourner l'Afrique par le sud et le cap de Bonne-Espérance. Un détour qui rallonge considérablement le trajet et occasionne des frais supplémentaires pour les armateurs.
Mais depuis le début de l'année, la situation s'est améliorée, a fait valoir le 14 mai OssamaRabie, le chef de l'Autorité égyptienne du canal de Suez, indiquant que « cette mesure répond aux exigences de nombreux clients, y compris les propriétaires et les opérateurs de navires porte-conteneurs, et vise à encourager les grandes compagnies maritimes à reprendre le transit par le canal de Suez ».
Un cessez-le-feu précaire, malgré l'accalmie
La dernière attaque remonte à décembre dernier. Et les États-Unis et les Houthis sont parvenus début mai à un accord de cessez-le-feu. « À l'avenir, aucune des deux parties ne prendra pour cible l'autre, y compris les navires américains en mer Rouge et dans le détroit de Bab-el-Mandeb », a déclaré le 7 mai le ministre omanais des Affaires étrangères, Badr al-Boussaïdi, médiateur dans ce dossier. Même si les rebelles yéménites ont tout de même indiqué qu’ils continueraient à cibler les navires israéliens transitant au large du Yémen. « Les voies maritimes sont sûres pour tous les navires internationaux, sauf les navires israéliens », a déclaré dans la foulée un responsable houthis AbdoulmalikAlejri à l’AFP.
Depuis l'attaque du Galaxy Leader, un cargo appartenant à un homme d'affaires israélien capturé en novembre 2023, plus de 200 frappes ont visé, selon les Houthis, des navires affiliés à Israël ou ses alliés, en solidarité avec la bande de Gaza, faisant une dizaine de victimes et des dégâts matériels.
En l'absence d'« une sécurité garantie » au vu des déclarations de la milice, analyse Jérôme de Ricqlès, expert du transport maritime chez Upply, « ces 15% ne vont pas suffire pour faire rebasculer le marché maritime par le Bab el-Mandeb, estime Jérôme de Ricqlès, expert du transport maritime chez Upply.
En la matière, « c'est la question assurantielle » qui prime, explique-t-il, et « pour le moment, les assurances "risques de guerre" restent très élevées. Donc aujourd'hui, pour un bateau de plus d'un million de dollars, malgré les 15% de discount, cela reste plus intéressant de faire le grand tour par le cap de Bonne Espérance ».
Pour l'heure, aucun des grands armateurs n'est prêt à un retour dans la zone. La semaine dernière, OssamaRabie a organisé des réunions avec plusieurs compagnies maritimes. Si toutes comme la française CMA CGM se disent désireuses de réutiliser cette voie maritime, elles se gardent bien de fixer un calendrier. Le Suisse MSC, qui a suspendu ses transits par la mer Rouge depuis l'attaque du MSC Palatium III en décembre 2023, a été très clair sur le fait que les conditions n'étaient pas réunies. Dans une réponse par email, l'entreprise danoise Maersk rappelle les déclarations de son PDG lors de la conférence téléphonique avec ses investisseurs qui a eu lieu le 8 mais : « Nous sommes prêts à reprendre nos activités en mer Rouge et à naviguer à travers le détroit de Bab-el-Mandeb une fois que les circonstances seront conformes à nos normes de sécurité. Nous continuons à suivre la situation de près et réévaluerons notre position si des changements significatifs interviennent en matière de sécurité ».
Reprise timide des petits conteneurs
Avec l'accalmie, la publication spécialisée Lloyd's List notait en mars une augmentation du nombre de moyennes et grandes compagnies maritimes parmi la flotte de navires passant par Bab el-Mandeb. « Il y a un petit frémissement, confirme Jérôme de Ricqlès. Mais il s'agit quasi uniquement soit de petits porte-conteneurs sur des valeurs bien inférieures à un million de dollars, donc qui entrent dans une catégorie moins frappée par les compagnies d'assurance, soit de navires pétroliers plus ou moins proche de ce qu'on appelle la "darkfleet" russe [la flotte fantôme, ndlr]. Mais pour les gros porte-conteneurs, qui coûtent très cher et donc très cher à assurer, ça n'est pas à l'ordre du jour. » Ce qui n'empêche pas les compagnies de faire passer quelques bateaux test, précise-t-il.
« Ce qui serait le pire pour les compagnies maritimes, ça serait une politique du "stop and go", commente-t-il, c'est-à-dire de repasser tous massivement par le Bab-el-Mandeb, et qu'il y ait un nouvel incident et qu'il faille refaire machine arrière. Cela pourrait occasionner un chaos logistique, car des changements de route comme ceux-là, sur un plan opérationnel, c'est très lourd de conséquences. Ce sont des grosses machines et il y a une inertie d'à peu près deux mois entre passer d'un système à un autre. »
La reprise du trafic dans le canal de Suez n'est donc pas pour demain. D'autant qu'un incident « inquiétant » s'est produit le 13 mai, signale l'expert maritime : un navire de MSC faisant route vers le sud de la mer Rouge s'est échoué « visiblement victime de ce qu'on appelle du GPS spoofing » à savoir le brouillage des signaux GPS à distance. « Il n'y a pas de preuves à ce stade-là, mais les doutes sont assez élevés. »
Rfi