Conakry, 21 mai 2025 – Dans une salle sobre mais solennelle du ministère guinéen de la Justice, les micros sont braqués sur Mame Mandiaye Niang. Le Procureur adjoint de la Cour pénale internationale (CPI) fait face à la presse, le ton ferme, le propos mesuré. Il est en Guinée pour une mission de clarification, alors qu’un décret présidentiel vient de raviver les tensions autour du procès historique des massacres du 28 septembre 2009.
« Cette grâce est juridiquement possible, certes, mais politiquement et symboliquement problématique. Elle est prématurée », tranche le magistrat international, sans détour.
La mesure en question : une grâce présidentielle accordée à Moussa Dadis Camara, ancien chef de la junte militaire et principal accusé dans le dossier du massacre. Une décision qui intervient alors même que la procédure d’appel est toujours pendante, suscitant des interrogations sur le respect du principe de justice et les droits des victimes.
La CPI sur le qui-vive
L’intervention de la CPI ne s’est pas faite attendre. Depuis La Haye, l’institution a rapidement enclenché des démarches diplomatiques et judiciaires, sollicitant des explications officielles. Mame Mandiaye Niang est dépêché à Conakry pour un dialogue direct avec les autorités judiciaires et exécutives.
« La complémentarité ne signifie pas l’abandon. Nous sommes là pour appuyer, mais aussi pour alerter lorsque les signaux sont préoccupants », martèle-t-il.
L’article 17 du Statut de Rome, qui fonde la CPI, pose en effet les limites de cette complémentarité positive : un État ne peut se soustraire à ses obligations judiciaires sous prétexte d’avoir engagé une procédure nationale. La grâce présidentielle est ici perçue comme un risque potentiel d’entrave à la manifestation de la vérité, voire d’impunité déguisée.
Un dialogue sous tension
Les échanges avec le garde des Sceaux guinéen et le Premier ministre ont été francs. Ces derniers ont justifié le décret présidentiel en évoquant une volonté de réconciliation nationale et l’état de santé dégradé de l’ancien chef de la junte. D’un point de vue strictement juridique, la condamnation étant devenue définitive suite au désistement de l’appel, la grâce ne viole pas la procédure.
Mais pour la CPI, le droit ne peut s’exonérer de la symbolique de justice attendue par les victimes.
« Nous comprenons les considérations humanitaires, mais nous devons aussi protéger les fondements de l’État de droit », a rappelé Niang.
L’ombre d’une dérive
Ce qui inquiète davantage, c’est le risque de précédent. Cette grâce pourrait ouvrir la voie à d'autres mesures d’allègement des peines, vidant de sa substance le procès en appel et sapant les efforts de justice entrepris depuis plus d’une décennie.
Le deuxième décret, relatif à l’indemnisation des victimes, a également été évoqué. S’il semble aller dans le bon sens, la CPI attend désormais des actes concrets et non des intentions.
Une confiance prudente
Malgré ces préoccupations, le procureur adjoint se veut mesuré à la fin de sa mission. « Je pars rassuré », déclare-t-il en marge de la conférence de presse, évoquant la « qualité des échanges » et les « garanties verbales » obtenues.
La Cour pénale internationale ne lâche pas le dossier : son Bureau du Procureur continuera de scruter les moindres développements, prêt à agir si le droit des victimes ou l’intégrité de la procédure venaient à être compromis.
Un procès sous surveillance internationale
Le procès des événements du 28 septembre 2009, qui a vu des centaines de manifestants tués, blessés ou violés dans le stade de Conakry, reste un test majeur pour la justice guinéenne. La CPI, qui a accepté de se tenir en retrait au nom de la complémentarité, n’hésitera pas à reprendre la main si la dynamique actuelle venait à s’inverser.
La visite de Niang se clôt sur une note d’espoir prudent. Mais dans les couloirs du ministère de la Justice, nul doute que le message a été entendu : le monde observe, et la justice ne saurait être sacrifiée sur l’autel des calculs politiques.
Algassimou L Diallo