Alors que le gouvernement prévoit de coupler présidentielle et législatives dès la fin 2025, des voix s’élèvent pour dénoncer un raccourci dangereux. Reportage sur une initiative qui divise.
Conakry – 6 mai 2025
C’est une annonce qui a fait l’effet d’une onde de choc dans le paysage politique guinéen : l’organisation simultanée, en une seule journée, des élections présidentielle et législatives, annoncée par le Premier ministre Bah Oury. Si le gouvernement y voit une solution de rationalisation du processus électoral, des acteurs de l’opposition redoutent une stratégie à haut risque pour la stabilité du pays.
Dans une interview accordée à VisionGuinée, Abdoulaye Bah, coordinateur des fédérations de l’intérieur de l’UFDG et politologue de formation, n’y va pas par quatre chemins. « Si le gouvernement le veut, il peut même organiser trois élections en une seule journée », ironise-t-il. Mais très vite, le ton devient grave. Il évoque ce qu’il considère comme une trahison des engagements pris en 2022 par le chef de la transition, le général Mamadi Doumbouya. « Il avait promis une transition par la base, avec d’abord les communales, ensuite les législatives, et enfin la présidentielle. Aujourd’hui, on nous parle de tout faire en une seule fois. C’est une contradiction flagrante. »
Dans les rangs de l’opposition, cette inversion du calendrier suscite des inquiétudes profondes. Car les élections locales, prévues comme première étape de la reconstruction institutionnelle, semblent aujourd’hui reléguées au second plan, voire oubliées. Pour Abdoulaye Bah, c’est une erreur stratégique majeure : « Les élections communales permettent de mesurer l’ancrage réel des partis sur le terrain. C’est le baromètre de la vitalité démocratique. »
Le couplage des scrutins soulève également des questions techniques et éthiques. Si des pays comme l’Indonésie ou l’Inde parviennent à organiser plusieurs scrutins à grande échelle, la comparaison trouve rapidement ses limites. « Ils ont une administration électorale solide, un consensus politique préalable et des institutions de confiance », rappelle le politologue. « En Guinée, on en est loin. »
La méfiance grandit également sur les intentions politiques d’un tel agenda. « C’est une manière de noyer les enjeux, d’étouffer le débat et de brouiller la lisibilité du vote », commente un observateur électoral indépendant. En alignant les législatives sur la présidentielle, certains redoutent un effet d’entraînement mécanique en faveur du camp au pouvoir, qui pourrait profiter de l’effet de levier de la candidature présidentielle.
Au-delà des calculs politiciens, la question du financement reste centrale. « Un État souverain doit être capable de financer ses propres élections. Sinon, il abdique une part essentielle de sa souveraineté », martèle Abdoulaye Bah. « Même sous la Révolution, la Guinée a financé ses scrutins. »
Dans ce contexte, les appels au dialogue politique se multiplient. Plusieurs partis réclament l’ouverture d’un cadre de concertation autour du calendrier électoral. Mais pour l’heure, le gouvernement semble camper sur ses positions. Et la CENI, dont la composition et l’indépendance font encore débat, reste silencieuse.
À quelques mois d’échéances cruciales, la tension monte. L’histoire récente du pays rappelle les dangers d’un processus électoral mal préparé : violences post-électorales, contestations, instabilité. « On ne triche pas avec la démocratie sans conséquences », avertit Bah. « Le peuple guinéen a droit à des élections crédibles, pas à un simulacre. »
Derrière les discours d’efficacité, le pari du couplage électoral pourrait bien s’avérer périlleux. Dans les rues de Conakry comme dans les cercles diplomatiques, la question est sur toutes les lèvres : la Guinée est-elle prête pour une telle épreuve démocratique ?
Saliou Keita